A PROPOS DE SÉPULTURE


Ce n'est peut-être pas un sujet bien réjouissant de penser à notre dernière demeure, mais est-ce que tous nous n'arrêtons pas de temps à autre notre esprit sur ce sujet, ne serait-ce que lorsque nous assistons à des funérailles, ou que nous venons nous recueillir sur la tombe de nos chers disparus ; le thème du sermon du prédicateur dans les jours de deuil n'est-il pas toujours celui de la mort ? Il n'est pas sans intérêt de penser à la sépulture en général et à la nôtre en particulier, car elle demande à satisfaire à la fois le sentiment, les idées religieuses, l'hygiène, la conservation du corps dans la mesure où elle peut se réaliser dans ce qu'elle a d'essentiel et dans des conditions accessibles à tous.

La dernière image, celle de la pâle figure du défunt avant l'enveloppement dans le linceul est celle que nous devons conserver finalement dans notre souvenir pour remonter à la période de vie et d'action. Tout ce qui contribue à la déformer ou à l'anéantir nous laisse une impression pénible et d'autant plus que les circonstances nous paraissent plus terribles : l'incinération, par exemple, qui est préconisée actuellement comme préférable au point de vue hygiénique, qui a été pratiquée par les anciens grecs et romains, qui l'est encore par certaines sectes de l'Inde, doit blesser intensément les parents qui entendent grésiller les chairs, pétiller les bois, et leur faire éprouver une angoisse durable de cette damnation immédiate qui ne laisse qu'un mélange de cendres et d'esquilles d'os.

D'un autre point de vue, beaucoup de religions admettant la mort comme une séparation momentanée de l'âme et du corps, il doit être demandé à l'inhumation de conserver ce qui est durable en nous, au moins notre squelette, et si possible encore, notre figure, et même nos chairs pour que l'esprit ne soit pas troublé à la pensée qu'une réunion serait difficile à la résurrection. La vieille Egypte l'avait réalisé en desséchant les corps antiseptisés, en les entourant de bandelettes imbibées d'aromates, en les plaçant dans des cercueils à l'image du mort dans des tombes aux souterrains dissimulés et inviolables. Seulement ce n'était réalisable que pour l'aristocratie et dans ce pays particulier où il ne pleut jamais, où aucune humidité du sol ne peut provoquer des altérations.

Chez nous, remontant aux premiers siècles on a obtenu une sépulture durable en plaçant le corps dans une auge de pierre en forme de cercueil : les fouilles en ramènent au jour de temps à autre. Ce ne pouvait être aussi que l'exception car cette sépulture devait être onéreuse tant pour l'extraction de la pierre que pour son excavation, son transport et ses manipulations : elle n'était qu'à la portée des puissants. Le commun avait des cercueils en bois, ou plus anciennement le corps était enfoui à même le sol, quelquefois avec un entourage de pierres plates dressées.

Le grand défaut de ces dernières inhumations provient des liquides des cadavres putréfiés qui, s'ils contiennent des germes de maladies microbiennes, peuvent souiller les nappes d'eau d'alimentation et être un danger pour la santé publique. Les exhumations, ou le creusage de nouvelles tombes ramenant les restes à la surface du sol en augmentant les émanations putrides, la dissémination des germes peuvent être aussi nuisibles. Quelle épreuve en plus pour nos sentiments que ces bouleversements où nous avons la vision triste, lamentable de ces débris fétides de nos parents !

Dans les régions tropicales, à climat chaud et humide, les sépultures ne sont souvent que momentanées. Certains animaux, comme la hyène et le chacal ; des oiseaux, comme les vautours ont une belle acuité de vision ou un odorat si subtil qu'ils perçoivent rapidement l'existence d'un cadavre et attendent le moment de pouvoir le déterrer pour s'en repaître. Une secte de l’Hindoustan n'a même prévu que cette fin pour l'homme : elle construit des enceintes circulaires où sont réservées des loges destinées à exposer les cadavres nus. Les vautours, hôtes habituels de ces « tours de silence » dévorent les corps, ne laissant que les os qui sont ensuite jetés dans une fosse centrale. Dans le même pays, chez d'autres sectes, les corps sont jetés dans les fleuves, où ils deviennent la proie des crocodiles après avoir contaminé les eaux.

Chez nous, actuellement et dans la plupart des régions tempérées, les morts sont enterrés dans des cercueils de bois : nous en avons indiqué les inconvénients ; ou bien on préconise l'incinération qui est évidemment hygiénique, mais ne satisfait guère notre sensibilité. Nous avons fait des progrès dans bien des domaines, ne pourrions nous en faire également dans l'amélioration de nos sépultures ? Emettons donc une idée sur ce sujet.

Le béton armé. — II est un matériau qui n'est pas nouveau : le ciment, mais dont la fabrication a bénéficié à la fois des progrès faits par la chimie et la construction mécanique, que l'industrie produit maintenant en quantités considérables avec-une régularité de composition inconnue autrefois, et avec des propriétés de résistance et de prise rapide répondant aux diverses exigences de la construction. Mélangé avec des gravillons, des mâchefers écrasés, des sables, humecté et comprimé, il donne le béton qui résiste bien à la compression, mais faiblement à la traction. Pour faire acquérir cette qualité au béton on y incorpore des tiges d'acier doux de grosseur appropriée et suivant l'effort que le matériau aura à fournir, et ainsi nous voyons, avec lui, s'édifier des constructions légères et hardies, rapidement et économiquement, telles que ponts, usines, charpentes, églises, réservoirs, etc. Ne pourrait-on pas s'adresser aussi à ce béton armé pour la confection d'une dernière demeure en progrès sur les autres systèmes employés ? Essayons d'examiner comment on pourrait y arriver pratiquement sans contrarier nos usages actuels.

Les funérailles jusqu'à l'arrivée du corps à la tombe. — .Elles se feraient comme à l'usage sans aucun changement pour les rites. L'église, la commune, ou les pompes funèbres auraient dans leur matériel une ou plusieurs bières provisoires, qui pourraient être revêtues de zinc intérieurement et même, en plus, doublées pour chaque funérailles de papier goudronné ou contenir de la sciure phéniquée pour donner toute garantie pour la propreté et l'hygiène.

Le corps, dans son linceul, serait placé dans le cercueil sur trois sangles transversales destinées à le sortir sans difficulté et sans froisser nos sentiments lorsqu'à la tombe il devra être descendu à son dernier séjour. Ainsi donc, rien jusqu'ici ne peut paraître changé à nos usages pour une personne non prévenue.

L'ensevelissement du corps dans la chape de béton. — II se ferait comme habituellement dans les funérailles en présence des représentants intéressés de la famille à la fin de la cérémonie.

Le fossoyeur aurait préparé la fosse. Au lieu de dresser le fond il lui donnerait vaguement la forme du corps pour économiser le ciment ; il aurait préparé également à l'avance son mélange de béton n'ayant plus qu'à l'humecter ; ses armatures en fort fil de fer ; et déjà callé les planches pour former le coffrage qui recevra le corps et son entourage de béton.

Alors il pourrait procéder ainsi :

a) Etendre une épaisseur d'environ deux centimètres de mortier sur le fond du coffrage ; placer l'armature ; puis une nouvelle couche de deux centimètres de béton ;

b) Descendre le corps, soulevé par les sangles, sur le lit de béton en laissant un intervalle de deux à trois centimètres jusqu'aux planches ;

c) Entourer et recouvrir le corps de béton, en incorporant au-dessus une armature analogue à celle du dessous ;

d) Unir le dessus ou même étaler un faible revêtement de ciment avec du sable fin pour obtenir une surface polie apte à recevoir facilement, dans le ciment frais, des inscriptions indiquant le nom, les dates de naissance et de décès du défunt, bref tout ce que la famille trouverait bon d'y mettre comme renseignements, regrets ou même comme ornementation ;                  

e) Après la prise du ciment qui peut se faire très rapidement, en une heure même, si on le désire, puisque le commerce livre des ciments à prise très rapide, il ne resterait qu'à combler la tombe comme à l'ordinaire.

Réflexions sur ce mode de sépulture. — La sépulture ainsi pratiquée peut-elle froisser nos sentiments ? Je ne pense pas puisqu'il ne se passe rien qui dérange le cérémonial que nous suivons habituellement, il n'y a rien d'écœurant ou d'horrible. Nous en tirons l'idée que nos morts seront bien protégés, que dans les recherches futures ce sont bien leurs restes que nous retrouverons, sans mélange étranger et sans souillures. La forme même de leur corps restera, car le linceul en se mouillant s'appuiera par la pression du béton sur le corps rigide et le ciment donnera le moule de la personne. Ainsi ce que cherchaient les Egyptiens se trouvera réalisé. Le cercueil de pierre des Anciens existera, moins grossier, hermétiquement clos et l'idée de l'anéantissement de la dépouille mortelle par le feu ne contrariera plus les croyances religieuses. L'hygiène, elle aussi, aura fait un progrès, car l'enveloppe fermée, sans joint, ne pourrissant pas, ne laissera pas les liquides de décomposition se répandre, avec les germes nocifs qu'ils pourraient contenir, dans la nappe d'eau souterraine. Il peut arriver que la justice, soupçonnant un crime, ait besoin d'ordonner une exhumation : rien ne la troublerait, il y aurait seulement la légère difficulté de sortir un poids de peut-être deux à trois cents kilos du sol ce qui est à la portée de tous les maçons. Elle aurait la garantie, après ouverture du bloc par une entaille sur le pourtour, qui n'a pas d'armature, de trouver un corps non dérangé où l'anéantissement serait au minimum ce qui ne peut exister avec l'incinération, par exemple, qui détruit les tissus et anéantit les poisons végétaux.

Enfin ce mode de sépulture serait à la portée de tous. Je le crois plus économique que ceux que nous avons. Les cérémonies restant les mêmes, le creusage de la tombe ne changeant pas, la différence essentielle ne peut porter que sur la différence de prix entre un cercueil et une chape de béton. Le prix d'une bière est variable mais toujours élevé. Un sac de ciment doit suffire en générai à la confection du béton ; le sable et les gravillons ont peu de valeur ; les planches du coffrage resserviraient aux inhumations suivantes ; deux à trois heures de travail paraissent un maximum pour le coulage de la chape et le décoffrage. Cette sépulture peut se faire partout sans frais supplémentaires ce que ne permet pas l'incinération, qui exige que le corps soit transporté à la ville où existe un four crématoire et la bière est brûlée en même temps que le corps.

Je ne vois donc pas d'obstacle à son adoption puis qu’elle remplit mieux les conditions exigées d'une bonne sépulture et qu'elle ne contrarie que très faiblement nos habitudes, souvent si difficiles à vaincre.


Alexandre MENU.(1930)

 

 

 

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