Un Tumulus ignoré


à Prouvais


II y a une quarantaine d'années, je devins propriétaire à Prouvais d'un bois un peu séparé de la colline boisée, à deux kilomètres du village, à la limite du terroir de Menneville, dans la direction de Neufchâtel-sur-Aisne. Il se trouvait, partie sur la pente d'un petit vallon nommé « Fond-de-la-Jolie », ayant son origine dans la forêt, partiedans le fond de ce vallon.Cette dernière, autrefois cultivée était une pépinière qu'on avait laissé grandir de pins noirs d'Autriche et de pins sylvestres destinés à fournir du plan pour le boisement des terres de peu de valeur comme cela se fit beaucoup dans la Champa­gne crayeuse au siècle dernier.

La partie sur la pente du vallon était un bois dont des chênes plus que centenaires prouvaient l'ancienneté. En parcourant plusieurs foiscette partie de bois touffu, que je connaissais peu auparavant, je fus intrigué par son relief irrégulier fortement accusé au bout ouest : j'y reconnus la forme d'une grande tombe pouvant avoir au moins quarante mètres de longueur, vingt mètres de largeur et dominant la partie basse de huit à dixmètres, et qu'on aurait formée en prenant de la terre sur le haut de la pente pour la jeter en son milieu. Bien persuadé qu'il y avait là une butte artificielle, je fus amené à me poser cette question : Pourquoi l'a-t-on faite ?

Il n'y avait là aucune roche pouvant avoir donné lieu à une exploitation. Les lapins qui en avaient pris possession et l'avaient minée de terriers, ne sortaient de leurs trous qu'une espèce de sable graveleux calcaire sans usage. Ce pouvait être une tombe collective où on aurait enterré des soldats après un combat comme il s'en est livré beaucoup dans cette région depuis les temps anciens.

Quand l'esprit s'arrête sur un problème de ce genre, il envisage toutes les solutions possibles : il en est une qui retintparticulièrement mon attention. Ce bois avait un nom particulier dans le pays, on l'appelait le « Colombier », nom français de « Columbarium », nom que les Romains ou les Gallo-Romains donnaient à des sépultures où souvent des urnes contenant les cendres des défunts   étaient   disposées dans   de petites   niches comme les nids de pigeons dans un colombier.

Prouvais a été habité de tout temps. Il avait une source, attraction pour fixer les premières demeures, à la limite des bois et de la plaine cultivable. Près de la source, à l'emplacement actuel du village, un banc de roche empêchait le boisement et la culture. Il n'avait pas de silex pour la fabrication des armes et des outils de l'âge de pierre, mais ceux-ci furent souvent mis à jour par les labours ou les terrassements. Les routes qui y aboutissent de toutes les directions sont largement encaissées dans les pentes parce que, fixées depuis longtemps, la pluie a pu les creuser: en enlevant la boue que produisait le piétinement des hommes et des bêtes. La butte boisée avait détourné un certain nombre de ces vieux chemins, surtout vers l'Est, et, précisément dans le voisinage du Colombier on en avait dans la direction, de tous les villages avoisinants : Evergnicourt, Neufchâtel, où passait la voie romaine de Reims à Bavay, Guignicourt, Menneville, Prouvais et Proviseux. Ces vieux chemins tendent à disparaître sur le terrain plat : ils étaient indispensables pour donner accès aux petits champs d'autrefois, mais maintenant la grande culture, qui agglomère au loin de nombreux hectares de terre, les laboure et ils ne sont plus fréquentés. Le voyageur, qui ayant consulté une carte, croirait, en les empruntant, abréger la distance, risquerait, s'il n'en perdait pas la trace, d'y trouver des terres labourées, des herbes qui lui rendraient le parcours pénible sans compter le temps perdu.

Les considérations précédentes m'amenaient à penser que le tumulus était ancien ; mais pour avoir une certitude complète, il fallait le fouiller. Fouiller une butte aussi importante, dans un bois, pour trouver peut-être quelques ossements, des armes rouillées ou quelques vieux vases mêlés à la terre, car, comme il n'y a pas de carrières pouvant fournir des pierres de taille dans le voisinage, il ne devait pas y avoir de construction souterraine. Faire, soit en travers, soit en long, une tranchée qui aurait été décisive, c'était un travail considérable que ma curiosité ne pouvait se permettre, je n'y songeais donc pas. Je pris le parti de faire un petit tunnel, amorcé sur la pente, côté vallon, se dirigeant vers le centre du tumulus, galerie guère plus large que l'écartement des deux épaules, en cintre dans le haut, pour ne pas être exposé à être enfoui sous une masse de terre détachée du plafond, peu cohérente puisqu'elle avait été remuée. Le début du creusage fut facile, la terre s'enlevait aisément et je n'avais qu'à rejeter le déblai sur la pente. La butte était bien artificielle parce que les mottes dans les couches que je tranchais suivaient en coulées la pente que prend un matériau peu cohérent lorsqu'on, en forme un tas, mais en s'allongeant, mon petit tunnel ne laissait que faiblement pénétrer la lumière déjà atténuée du sous-bois mon corps formant écran. Je fus obligé de m'éclairer avec une lampe, la terre devait être reprise à plusieurs fois, dans une position peu commode, pour être rejetée au dehors. A peut-être six mètres de l'ouverture, j'arrivai au sol vierge, reconnaissable à la couleur foncée due à l'humus, à des coquilles d'escargots. Que faire ? Il était difficile de continuer le boyau, et où le diriger ?

Le tumulus avait conservé son secret. Ma famille était inquiète de me savoir, toute une journée, dans la solitude, exposé à un accident, j'arrêtai mes travaux. Un archéologue de Crécy-sur-Serre ayant eu connaissance de ma fouille, me demanda l'autorisation de la continuer. C'était à la déclaration de la guerre, il ne pouvait y avoir de suite pour nous.

Les Allemands, après le recul de la Marne, occupèrent le bois parce qu'ils trouvèrent là un excellent emplacement pour y placer un ballon d'observation qui, pendant la durée de la .guerre, surveilla Berry-au-Bac, la côte 108, les régions voisines : Cormicy, Craonne. Le ballon fut amarré dans un champ, au fond du vallon, entre le massif boisé de la montagne et le bois du Colombier et tout le personnel s'installa dans mon bois : dans des cagnas, des abris souterrains, ou de petites villas, sous ombrages, suivant les grades. La guerre durant, le petit village fut pourvu du confort moderne : électricité, eau à domicile après creusage d'un puits de peut-être quarante mètres de profondeur, boisé comme un puits de mine, dont un moteur électrique élevait l'eau dans un grand réservoir en tôle, emprunté probablement à une sucrerie. Au recul, ils ne laissèrent que des ruines.

Une cagna avait élargi mon souterrain. Les Allemands ne se doutèrent pas de ce que pouvait être la butte, car pendant les années d'occupation, avec un nombreux personnel qui ne fut pas toujours occupé, ils auraient assurément pris la décision qui s'imposait : faire une tranchée transversale et, en cas de nécessité, une autre longitudinale.

Le bois dévasté n'avait plus d'intérêt pour moi. M. Loiher, de Menneville, qui, possédant des terres attenantes, installait la ferme de Belle-Vue dans le voisinage, me manda de le lui céder. Ayant perdu un taureau tombé dans le puits, pour éviter d'autres accidents, il l'a fait combler en prenant de la terre au pied de la butte, mais la morsure était trop faible pour donner une indication décisive qu'on ne pourra avoir que s'il veut la trouver ou la laisser découvrir aux chercheurs de l'avenir.

 

 

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