Quelle étendue de terre faut-il

 

pour produire la nourriture d'un homme


Je suis convaincu qu'une dizaine d'ares peuvent suffire.


Les journaux nous apprennent que dans le monde entier un déséquilibre entre la production et la consommation engendre le malaise et le chômage.

L'esprit de l'homme, ébloui par les progrès inouïs qui se sont accomplis depuis cent ans dans les sciences et dans l'industrie, progrès qu'avait préparés au XVIII ème siècle l'examen de quantité de faits qu'on pût relier entre eux par des lois fécondes, crut qu'il pouvait, sans limite, faire accélérer la production, donner la richesse, augmenter les jouissances et répudier les idées sur la vie matérielle des générations passées.

L'élan fut si fort qu'on n'écouta pas les sages avis qui furent donnés, qui sont bons pour les peuples comme pour les individus : Celui qui dépense plus qu'il ne reçoit se ruine. Le producteur qui ne peut vendre ses produits se ruine, car il a payé l'achat des matières premières, le salaire de ses ouvriers et ses frais généraux. Le salarié ou le rentier qui s'est habitué à un train de vie dispendieux ne peut le continuer lorsque l'argent rentre mal. Il doit se priver ou se ruiner.

La nature organique de l'animal, « et l'homme est un animal », n'évolue si lentement que les modifications durant des siècles ne sont pas sensibles.

La vie plus facile a incité l'homme à augmenter ses jouissances. La nourriture lui en procure beaucoup. Pour avoir moins de gêne il a ignoré sa nature, et s'est adonné à une nourriture qui ne lui convient pas, à l'absorption de poisons excitant son cerveau, le berçant de rêves agréables ou calmant ses douleurs. Il est la victime de son erreur ; sa santé en souffre tôt ou tard, le bien-être momentané se paie par la déchéance et de longues souffrances : pas de santé, pas de bonheur.

L'homme est un animal

II a, comme les mammifères, les mêmes parties, assemblées de même façon, fonctionnant comme les leurs.

L'histoire naturelle nous apprend que tous les êtres vivants, végétaux et animaux, sont formés de parties microscopiques appelées cellules.

Les cellules peuvent vivre isolées ; il faut un microscope pour les voir. Elles sont tellement abondantes dans les eaux des mers chaudes qu'elles lui donnent une certaine onctuosité et la rendent phosphorescente. Les microbes du sol et de nos maladies sont aussi des cellules isolées.

Les cellules d'un animal, en nombre incommensurable, sont agglomérées en un certain nombre de groupes ayant des fonctions différentes. On peut les comparer aux habitants d'une ville où, en dehors des simples particuliers, on trouve des catégories de citoyens appelés à diriger l'agglomération, à renseigner, à transmettre les ordres, à protéger, à alimenter, à veiller à la salubrité, etc.

Ce qui fait la supériorité de l'homme sur le reste du monde vivant, ce n'est pas la perfection de ses sens ou de ses organes, car les animaux, à ce point de vue, lui sont souvent supérieurs : c'est le grand développement de son cerveau qui centralise tout ce qui concerne le monde extérieur, qui lui donne des administrations perfectionnées que les animaux n'ont qu'à l'état rudimentaire. Il retient les idées par la mémoire, non seulement celles qu'il a acquises par expérience, mais celles que les autres lui communiquent par la parole ; celles qui peuvent lui parvenir de toutes les régions du monde par l'écriture et le dessin. Enfin les esprits des temps passés, par les livres, sont en relation avec lui. Toutes ces idées, s'il sait les comparer, choisir les meilleures au moment voulu, lui feront surmonter des difficultés qu'un animal ne saurait vaincre ; d'amorcer des recherches que d'autres continueront pour faire progresser l'humanité.

La nourriture des êtres vivants 

Un être vivant ne peut exister que s'il absorbe de la nourriture, c'est-à-dire des substances dont il extraira des matériaux pour former son corps et l'entretenir en réparations ; des matières combustibles qui donneront du travail et de la chaleur par leur combinaison avec l'air.

Pour qu'une machine à vapeur fonctionne il faut après l'avoir construite la réparer s'il y a lieu. Ensuite avec le combustible, l'air et l'eau lui donner le mouvement.

Il en est de même pour l'animal, il y a des aliments pour former le corps, il y en a d'autres pour lui donner la vie. Ils sont différents.

Il est excessivement curieux d'apprendre que toutes les cellules et par suite tous les êtres vivants, animaux et végétaux, vivent des mêmes substances : des matières azotées et minérales pour former leur corps, des matières sucrées ou grasses pour l'actionner. Ce que nous n'apercevons pas c'est que ce sont les substances digérées tirées des aliments qui nourrissent et non les matières diverses qui entrent dans la bouche.

Au premier abord cela paraît difficile à admettre pour les plantes qu'on considère comme alimentées par des fumiers ou des engrais minéraux. Cela provient de ce qu'il y a chez la plante succession de deux grandes fonctions : la première qui partant des fumiers et engrais aboutit à la fabrication de matières azotées, d'amidon, de sucre, de corps gras grâce à l'énergie fournie par le soleil ; la deuxième qui digère ces aliments pour la nourriture des cellules.

L'amidon du blé, le sucre de la betterave, etc., n'ont pas été élaborés pour l'homme, mais celui-ci s'en empare, parce que comme pour la plante, elle lui donne la vie.

Puisque tous les êtres vivants donnent à leurs cellules les mêmes principes, il semble qu'il devrait y avoir dans toute la nature une concurrence effroyable pour se les procurer : mais par le fait qu'il y a des êtres vivants sur la terre, sous la terre, dans l'air, dans les eaux, il est compréhensible que l'animal doit être pourvu des moyens de les capturer. La partie nourrissante peut être protégée par des parties résistantes comme la carapace des insectes, l'enveloppe des graines, la matière minérale des os, le tissu fibreux de la plante ; ou bien la proie a des mouvements rapides et son ennemi doit lutter de vitesse avec elle, comme le moucheron avec l'hirondelle, etc... Il s'ensuit donc que pour exister, une espèce doit trouver une nourriture que des concurrents ne peuvent lui disputer parce qu'ils ne peuvent la capturer ou parce que leurs organes de digestion ne sont pas aptes à en tirer la nourriture. Cette espèce n'aura à redouter que la concurrence de ses semblables, il y aura alors une lutte qui favorisera les mieux armés, c'est-à-dire les plus intelligents et les plus forts et fera disparaître les faibles.

Tout ce qui précède nous amène à dire qu'une espèce n'existe que parce qu'elle a les moyens par son instinct, par ses organes de préhension de capturer sa nourriture, des dents conformées pour la broyer, un estomac et un intestin pour la digérer. L'homme a les caractères d'un animal qui se nourrit de graines, de fruits, de racines croquantes et d'herbes tendres. Ce n'est pas un carnivore, mais il peut assimiler les viandes tendres mêlées à des légumes, car son intestin est trop long pour un usage constant de la viande et il est trop court pour une nourriture toute en herbes. Le lait et les œufs lui conviennent.

Quantité journalière de nourriture nécessaire à l'homme 

Elle serait très utile à connaître. Les savants ont cherché à la calculer en mesurant des déperditions du corps par le travail, la chaleur, l'usure et en déduisant la quantité d'aliments devant les produire. Ils ont donné des formules de rations alimentaires intéressantes à consulter, mais sans aucune précision pratique.

En effet, la nourriture doit aller aux cellules vivantes qui sont apparemment plus nombreuses chez un homme lourd que chez un homme léger. Mais à côté des cellules vivantes il y a des cellules mortes (cheveux, ongles, cellules de l’épiderme), des matières minérales dans les os, des matières de réserve (graisse) dont le poids est difficile à apprécier et qu'il convient de déduire pour avoir le poids des cellules à nourrir.

Le jeune enfant, en grandissant, exige la nourriture de ses cellules, mais aussi un supplément pour la formation de nouveaux tissus.

La force dépensée pendant le travail a son origine dans la combustion d'aliments farineux ou sucrés : il faudra donc, dans ce sens, augmenter la ration du travailleur par ses muscles.

Notre corps se maintient toujours à la même température par la combustion d'aliments, gras principalement, d'où nécessité d'en tenir compte dans la ration lorsque l'homme vit dans un milieu froid.

La femme qui aurait besoin de toutes les augmentations qui viennent d'être citées, si elle a un enfant, devra avoir un supplément pour le former.

Il est donc facile de comprendre qu'on ne peut rien donner de précis en tenant compte de tous ces éléments divers, d'autant plus qu'il y a lieu de connaître comment se fait la digestion de l'individu. Deux personnes dans les mêmes conditions ne sont pas nourries également si l'une mange bien et l'autre mal, si la mastication de l'une n'est pas bonne, si ses organes ne sont pas sains.

L'appétit devrait être le meilleur indicatif. Il l'est pour les animaux, il ne peut pas l'être pour l'homme qui se compose une nourriture variée flattant ses sens du goût et de l'odorat : la jouissance lui fait dépasser la juste mesure.

Je crois que la plus sûre indication est donnée par la tenue du corps. Nous pouvons admettre que les hommes qui trouvent régulièrement leur nourriture à chaque repas n'ont pas besoin de faire des réserves de graisse comme les animaux qui sont forcés de jeûner à certaines saisons, que cette graisse gêne le fonctionnement de nos organes intérieurs en mouvement comme le cœur et l'intestin et abrège la vie. Une bonne ration sera celle qui permet la formation de tous les organes du corps, qui les maintient en forces et n'engraisse pas. C'est affaire d'expérience.

Nous venons de voir ce que nous devons demander à la nourriture. Comment l'homme se la procurera-t-il ? Il peut se spécialiser dans un travail et offrir le produit de son industrie en échange de sa nourriture ; ou par une double opération obtenir une monnaie qu'il échangera contre des aliments ; ou enfin remonter à la- source, et recevoir de la terre, notre mère nourricière, notre pain quotidien.

Catégories d'aliments

Pour ne pas rester dans le vague il convient maintenant de prendre une moyenne de la nourriture qui suffit à un homme et de la quantité de sol qu'il faut cultiver pour la récolter. Nous ne pouvons nous appuyer que sur des moyennes puisqu'il est impossible de fixer une ration uniforme, et, que suivant la culture qu'on donne à la terre et les circonstances favorables la récolte peut varier du simple au double.

Les aliments que nous avons reconnu convenir à l'homme et que nous pouvons produire dans nos régions peuvent être classés ainsi :

— Aliments provenant de graines, mais modifiés pour obtenir le pain : blé, seigle ;

— Graines utilisées directement dans la cuisine : haricots, pois, lentilles, fèves, châtaignes ;

— Racines ou tiges souterraines, fruits s'éclatant sous la dent : pommes de terre, carottes, navets, pommes, poires, etc... ;

— Herbes tendres : choux, salade, poireaux, assaisonnements.

Pain. — Le pain fait avec une farine qui contiendrait tous les éléments nutritifs du grain pourrait nourrir l'homme. Les prisonniers autrefois n'étaient-ils pas alimentés de pain et d'eau ? Nous attribuons trop d'importance à la blancheur du pain. Pour arriver à ce résultat le meunier décortique le grain et écrase séparément la partie intérieure riche en amidon, élément de travail, qui donnera un pain blanc et la partie extérieure contenant les substances minérales et azotées si importantes pour la formation et la réparation du corps : c'est un peu comme si en mangeant des œufs nous ne prenions que le blanc et délaissions le jaune. L'œuf et la graine peuvent se comparer puisqu'ils contiennent tous deux les éléments d'un être complet, poussin ou plante.

On peut établir comme résultat d'expérience qu'une consommation journalière de 400 grammes de pain donne une moyenne suffisante. Pendant l'occupation allemande, en 1918, nous étions rationnés à 180 grammes d'un pain de composition inconnue, mais peu nourrissant, c'était notoirement insuffisant, d'autant plus que les plats d'ortie ou de pissenlit ne pouvaient combler le déficit, l'amaigrissement général de la population le montrait nettement. Si nous avions eu 300 à 400 grammes de pain, nous avons l'impression que cette quantité nous aurait suffi.

400 grammes de pain quotidien cela donne 146 kilos par an qui proviendraient, à raison de 130 kilos de pain par 100 kilos de farine, de 113 kilos de farine, laquelle serait obtenue de 173 kilos de blé écrasé et bluté à 75 % pour cent.

Actuellement une terre bien cultivée peut donner 22 kilos de blé, ou 20 kilos de seigle en moyenne à l'are. La culture de huit ares donnerait donc le blé suffisant à la nourriture d'un homme.

Graines légumineuses : haricots, pois, lentilles. — Deux repas par semaine de ces graines donneraient pour l'année un total de 7 kilos. L'are produisant en moyenne 17 à 20 kilos, une surface cultivée de 40 mètres carrés suffirait.

Pommes de terre. — La consommation si répandue de ce tubercule nous le fait classer à part. 320 repas à 250 grammes l'un exigerait 80 kilos qu'on peut récolter dans 40 mètres carrés en comptant une moyenne de 200 kilos à l'are.

Racines, herbes, assaisonnements. — 350 grammes de ces racines et herbes par repas et 350 repas par an, soit 105 kilos, peuvent être tirés de la culture de 30 mètres carrés en s'appuyant sur une moyenne de 315 kilos à l'are.

Il est à remarquer qu'en réalité cette surface n'est qu'à mentionner, car sur une bonne partie du potager on peut faire deux récoltes par an : une culture de pommes de terre hâtives, par exemple, peut être remplacée par des cultures de navets, carottes, salades, choux, poireaux, etc... Mais ne lésinons pas, comptons-les pour 20 mètres carrés. J'ajoute un are pour planter quelques groseilliers, fraisiers, arbres à basses tiges pour procurer un peu de dessert.

Total : dix ares. Avec cela on peut vivre sain et fort.

Je vois surgir des objections : vous supprimez la viande ; le lait et les œufs que vous indiquez comme aliments convenables pour l'homme, ne sont pas mentionnés ; vous ne parlez pas de la boisson. Cela est vrai, ce n'est pas indispensable, mais facile à réparer. En cultivant deux ares en supplément il serait facile d'avoir assez de nourriture pour élever quelques portées de lapins, deux ou trois poules, peut-être une chèvre lorsqu'il s'agit d'une famille.

Quant à la boisson, la plus saine est de la bonne eau. Toutes les autres boissons usitées ne servent qu'à exciter le cerveau, flatter le goût, donner une jouissance sans profit pour la santé. Le vin, le cidre, la bière sont obtenus de liquides sucrés où des ferments ont vécu de la partie nutritive ne laissant que des déchets : leurs cadavres dans la lie et de l'alcool. On peut en user sans grand dommage, mais ils ne sont pas nécessaires.

Conclusion 

Depuis déjà longtemps les dirigeants ont cherché à convaincre les peuples que le commerce et l'industrie étaient les vraies sources de richesse rapide et de bien-être. Partout de grandes usines se sont édifiées ; les villes dans les contrées industrielles ont pris un développement monstrueux ; nous sommes arrivés au déséquilibre, on produit trop, les machines sont trop parfaites en ce sens qu'elles font énormément de besogne avec peu de main- d'œuvre humaine ; les magasins sont remplis, il vaut mieux produire moins en occupant tout le monde. Les chômeurs sont secourus, mais le mal ne disparaît pas et les secours seront forcément éphémères. Dans une grande ville, que devenir sans argent ? Comment satisfaire tous les besoins, souvent coûteux et inutiles dont on s'est fait l'esclave ?

L'étude qui précède pourrait servir à atténuer le mal. Que les habitants de nos campagnes réfléchissent avant de se ruer vers les villes. Souvent ils possèdent une maison, quelques champs, qu'ils se gardent de les vendre, souvent à vil prix, qu'ils les louent pour se ménager un retour lorsque leur situation sera mauvaise ailleurs. Que l'Etat favorise l'installation de toutes les petites industries à la campagne, l'électrification du pays la rend plus facile. En temps mort, les champs ou jardins occuperont l'ouvrier et lui procureront un riche appoint pour vivre.

De grandes usines, des administrations installées dans des villages ou de petites villes adoptent cette idée en créant des habitations ouvrières entourées de jardins, en lotissant des jardins donnés à leurs ouvriers, ou encore en les logeant dans les campagnes avoisinantes et en les transportant à l'aller et au retour. Il n'est pas douteux que ces ouvriers ne seront pas malheureux en temps de chômage comme ceux qui sont serrés par millions sur un faible espace où sans travail ils ne peuvent vivre que de charité, entourés d'un luxe qui n'est pas pour eux, qui les aigrit sans aucune de ces jouissances que les pauvres mêmes peuvent trouver à la campagne.

Le temps employé à cultiver une dizaine d'ares ne peut guère être compté comme travail, c'est presque une distraction et la science nécessaire serait vite acquise par les relations avec les pratiquants expérimentés, la lecture de livres bien faits, et les leçons des professeurs spéciaux.

 

 

 

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