LE PONT DE GUÎGNICOURT-SUR-AISNE


Aux IVème et Vème siècles, la Gaule, depuis quatre siècles sous la domination des Romains, fut envahie par des hordes de barbares venues de l'Est, de l'emplacement de l'Allemagne actuelle et de contrées plus lointaines. Elle subit alors la plus sauvage dévastation : les villas et monuments romains furent détruits, les villages pillés et incendiés.

Mais après la destruction, les tribus fixées dans le pays, au contact de populations plus civilisées, se polirent aussi et on commença à reconstruire. On bâtit souvent sur des fondations anciennes, avec les matériaux des ruines. Il en résulta donc des constructions hybrides où des pierres bien taillées, des colonnes, des chapiteaux sculptés se trouvaient dans un ensemble de facture primitive copiant les méthodes romaines.

Quinze siècles plus tard, ne sommes-nous pas dans la même situation ? L'envahisseur, venu des mêmes régions, a occasionné la ruine et la dévastation du Nord-Est de notre France. Sur des fondations d'avant-guerre, que nous pouvons nommer anciennes, avec des matériaux provenant des ruines, nous reconstruisons nos villages et nos cités.

Ce sont ces idées qui se présentaient à mon esprit en examinant le pont de Guignicourt rétabli sur l'Aisne, en utilisant les anciennes piles.

Les Français, après la bataille de Rethel, avaient fait sauter le pont primitif pour retarder la marche de l'envahisseur. Ils avaient cru atteindre leur but facilement, et mésestimant sa résistance mirent trop peu d'explosifs ce qui les obligea à s'y reprendre à plusieurs fois.

Le pont de Guignicourt fut étudié pour permettre la traversée de l'Aisne à la ligne de chemin de fer de Laon à Reims en construction pendant les années 1854-55.

La génération présente pourrait être tentée de croire que les moyens de communications par chemins de fer sont déjà anciens, c'est pourquoi il est bon de rappeler quelques données précises à ce sujet.

Le plus ancien chemin de fer de France est celui d'Andrezieux à Saint-Etienne qui fut concédé le 26 février 1823.

D'abord l'Etat faisait des concessions de lignes isolées, généralement à perpétuité, aux frais des compagnies. En 1842, en présence de l'extension que prenaient les chemins de fer, il mit plus d'uniformité dans la législation en stipulant que le tiers du coût des terrassements, des travaux d'art et des stations serait à sa charge, que la concession serait de 99 ans et qu'à l'expiration la valeur de la voie et du matériel serait remboursée par lui, qu'il en deviendrait propriétaire ou qu'il céderait ses droits à une autre compagnie.

La période des grands réseaux commença en 1852.

Compagnie du Nord. La première concession est celle de la ligne, à deux voies, de Paris à la frontière en date du 13 juillet 1845.

Au 1er janvier 1855 la Compagnie du Nord possédait déjà 1.034 kilomètres de lignes construites qui lui avaient coûté 354.000 francs du kilomètre, donnaient un produit brut de 40.500 francs par kilomètre et exigeaient 37 pour cent de frais d'exploitation. Les actions émises à 400 fr. valaient 850 francs.

Compagnie de l'Est. La concession débuta par la ligne de Paris à Strasbourg le 19 juillet 1845.

La longueur des lignes construites au 1" janvier 1855 était de 500 kilomètres au coût de 316.000 francs le kilomètre donnant un revenu brut de 49.400 francs. Les actions émises à 500 francs valaient 775 francs.

Pour l'ensemble de la France il y avait 5.000 kilomètres exploités, 1.900 en construction et 3.600 projetés. Le produit brut moyen par kilomètre était de 34.600 francs avec 40 pour cent de frais d'exploitation.

L'examen de la petite carte des chemins de fer des trois départements de l'Aisne, de la Marne et des Ardennes nous montre, qu'à cette époque, la ligne de Paris à la frontière belge s'arrêtait à Saint-Quentin et avait un embranchement de Tergnier à Laon; que la ligne de Paris à Strasbourg traversait les départements de l'Aisne et de la Marne, et avait un embranchement d'Epernay à Reims. Le département des Ardennes n'avait pas encore de chemin de fer.

Quand l'étude du tracé de la ligne de Laon à Reims fut terminée et adoptée, il y eut à établir les plans du viaduc de Guignicourt. Les ingénieurs eurent à résoudre ce problème : faire un ouvrage permettant à la fois le passage-dés trains et celui des véhicules.

On ne pouvait alors traverser l'Aisne à Guignicourt qu'en se servant d'un bac un peu en aval de l'Eglise, ce qui n'était pas commode : il n'y avait de ponts de pierre qu'à Neufchâtel et à Berry-au-Bac. Celui de Guignicourt devait rendre de grands services.

Voici quelle fut la solution adoptée :

Le viaduc aurait trois arches plein cintre reposant sur deux piles dans le lit de la rivière et butées contre des culées sur les rives. Etant donnée la grande distance entre la plateforme supérieure et la surface des plus hautes eaux, il était possible de ménager un tunnel à travers les piles, d'en continuer le sol par un pont suspendu se bifurquant à chaque extrémité pour diriger la circulation sur les deux côtés des remblais. Un petit logement serait ménagé entre la culée, dans la fourche du côté de Gui­gnicourt, pour loger un gardien veillant à l'observation d& l'arrêté de circulation et percevant le péage.

C'est ce qui fut exécuté : le ballast de la voie était à 14 mètres au-dessus de l'étiage et la chaussée du passage à 6 mètres, soit un mètre au-dessus des plus hautes eaux connues, celles de 1784, qui montèrent à 5 mètres au-dessus de l'étiage. Les arcs plein cintre avaient 22 mètres de diamètre et étaient à leur base séparés par une largeur de pile de 2 m. 90. A l'étiage la largeur de la rivière entre maçonnerie était de 53 mètres.

Ce pont, de belles proportions, en pierre de taille dont le tunnel des arches augmentait l'intérêt de l'appareillage, avec les tirants en éventail suspendant le tablier se présentait bien dans le paysage de la rivière naturellement pittoresque.

Environ vingt-cinq ans après la construction, le péage, qui était une gêne, fut supprimé après un arrangement entre la compagnie de l'Est et les communes intéressées.

Avant la guerre, le pont pour les voitures commençait à ne plus répondre aux exigences de la circulation qui devenait plus intense, le tablier vieillissait, les véhicules étaient plus lourds et ne s'accommodaient plus de la lenteur imposée, dans un but de sûreté, pour la traversée. Aussi lorsque les nécessités d'un rétablissement rapide de nos voies de communications exigèrent la reconstruction du viaduc, on supprima le passage pour les voitures et on rétablit les arches en ciment armé sur les piles encore existantes.

Un pont spécial, en ciment armé, le remplace à une vingtaine de mètres en aval du viaduc.

La construction de la ligne de Laon à Reims, puis plus tard celle de Soissons à Rethel, fut pour Guignicourt, qui n'était alors qu'un modeste village agricole comme les villages avoisinants, le départ d'une ère de prospérité que le relèvement de nos ruines ne fait qu'augmenter :

II profite de la loi .générale qui veut que les gares soient des centres d'attraction. Elles attirent d'abord les commerces qui vivent des voyageurs : cafés, hôtels, etc., puis les commerçants, qui ayant un fort trafic par chemins de fer, veulent faire des économies sur les transports tels que les marchands de grains et de charbons. Les industries qui s'établissent, pour la même raison cherchent à avoir un embranchement avec le chemin de fer. Ensuite nombre de riches personnes de la ville, si la localité est agréable, font bâtir leur villa à proximité ; les rentiers de la région dont la famille est disséminée y choisissent leur demeure, pour faciliter leurs voyages et ceux de leurs proches.

Guignicourt fut en plus un centre d'attirance parce qu'il fournit, par l'agrément de la pêche dans les cours d'eau poissonneux de sa région : Aisne, Suippe, canaux des Ardennes et de la Marne au Rhin, un délassement à une foule de Rémois heureux de venir goûter les plaisirs d'une belle journée au bord de l'eau; par la chasse dans les bois et les plaines giboyeuses, un aliment aux passionnés de ce sport. Les bois de la « Montagne de Prouvais » ont aussi leur attrait, pendant la belle saison, pour la jeunesse qui y va cueillir le muguet et autres fleurs printanières, et, à l'automne, croquer des noisettes.

La guerre survenant, Guignicourt, voisin de la ligne de bataille, de Berry-au-Bac, de la cote 106, fut anéanti.

Un nouveau Guignicourt s'édified'après un plan amélioré. De belles constructions font l'ornement de ses rues élargies. Il se met aux idées de progrès en recherchant le confort moderne que donne l'électricité et l'adduction d'eau potable sous pression. Les fonctionnaires et officiers ministérielsviennent s'y installer,et les commerces variés n'y manquent pas. Il a l'ambition de devenir le chef-lieu du canton : sa situation centrale et la facilité des communications semblent raisonnablement la légitimer. Neufchâtel, le chef-lieu actuel, qui était autrefois le seul bourg du canton, sur la route nationale de Reims à la Belgique a perdu son importance, il a surtout le défaut énorme d'être à l'extrémité d'un long canton, mais ces mutations mettent en jeux tant d'intérêts variés, ont tant d'aspects divers qu'elles sont toujours lentes à réaliser.

 

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